THIERRY GAHINET - LA VIE EN CHANSONS

dimanche 28 août 2005

MON PERE SUITE

Cette rencontre avec le patro fut si importante qu’il ne le quittât jamais plus, toujours prêt à se donner pour lui. C’est là que sa foi réelle et pure se forgea au fil des années, même par ces années où la séparation et la guerre l’éloignèrent de la Terre Sainte (Locmiquélic).
On le disait volontiers bonne poire Paul Gahinet, bonne pâte au risque parfois de se faire avoir mais il était ainsi, d’une bonté contagieuse. Je ne l’ai jamais vu s’intéresser aux choses de l’argent, sans doute car ma mère tenait la bourse mais surtout parce qu’il connaissait le prix de la solitude et de la souffrance pour se tourner vers les sources de la vie. Que de temps a-t’il passé a mener sa clique de répétitions en déplacements, lui qui n’avait pas l’envergure du chef ! Il était tout simplement reconnu par sa bonté. Que de patience lui a-t’il fallu pour s’occuper des jeunes ! Que de temps aux kermesses, aux galas du patro, au char de la fête des Langoustines. Que de temps !
Dans les années 20, Locmiquélic vivait par la mer et les embarquements des hommes. La pêche ou la royale, le choix était facile. La marine de guerre d’en face représentait prestige et uniforme. Aussi à quinze ans il connut la rigueur de l’école des mécaniciens de Lorient, située au pied du phare de la Découverte. Le marin rêvait-il déjà à d’autres rivages dans les parfums de l’ancienne colonie des Indes ? Et ce furent dix-huit années de mer avec ces escales aux couleurs toujours nouvelles, les mers chaudes de l’autre côté de la terre. Je ne sais rien de ces instants lointains mais bon dieu ce que j’aurais aimé les vivre. Paysages sans cesse différents, filles entrevues des ports, mal de mer mal d’amour peut être, ce que j’aurais aimé partir comme lui. Il nous racontait le passage de la ligne et dans ses yeux je vivais le soleil des Tropiques. Il vit Saigon, Pnom-Penn, Ankor, New-York après la crise, Casablanca et la Nouvelle-Orléans. Je feuillète l’album aux photos jaunis remontant le fil des vagues, témoin indiscret d’un regard, d’une chaude chevauchée sur les rives du Mékong. Une histoire lui en rappelait une autre, comme ces cartes postales qu’il expédiait à ma mère.
Et la guerre l’emporta dans un tourbillon d’évènements qui le dépassaient, qui l’arrachaient à son rêve. A Dunkerque mon père se réveilla dans un décor d’apocalypse. Il n’avait rien vu, rien entendu. La nuit précédant l’attaque, il la passa à faire la fête sur un autre bâteau amarré en coupée. Il retrouva son frère Joseph dans un camp de prisonniers en Angleterre. Il se battit contre les Américains à Casablanca. Il y gagna sa médaille de guerre. Il fit les convois dans l’Atlantique. Il participa au débarquement en Afrique du Nord. Il rencontra Louis Jouvet et sa bande sur un Paquebot qui l’emmena aux Amériques. Il revint enfin au pays, la guerre finie, pour s’embarquer sur un dragueur de mines. Et il mit sac à terre pour ne pas connaître une autre guerre, plus secrète celle-là, en Indochine.
Dix-huit années déjà, Premier-maître mécano, il reste un flux et un reflux pour continuer encore à voyager encore. La mer est toujours là. Il va encore la prendre : mécanicien à bord du Robert-Marie. Jusqu’à cette nuit du trente et un décembre 1949 où le bâteau périt abordé par la coque de fer du Ducouédic. Il était à terre empêché par un méchant furoncle. Son oncle le remplaçait, Jean-Marie Gahinet . Au cimetière le disparu en mer est ici dans la paix de la rade.
Fini la pêche pour lui aussi. Il devint marin de commerce sans quitter le port, mécanicien sur un chaland de chez FINA qui ravitaillait les chalutiers au port de pêche de Lorient. Il connaissait chaque équipage, ramenait des cotriades de poissons tous les lundi et cette odeur de gaz-oil qui ne le quittait plus. Il ne quittait le port que pour Groix, à quelques encablures de la côte. Nous y allions, avec ma soeur, une fois le temps, pendant les vacances. Odeurs mélangées de la cabine et du pain au jambon, longues promenades sur l’île, sieste dans les couchettes trop étroites et toujours le parfum de fuel le reste du voyage.
Il s’arrêta enfin à soixante-cinq ans pressé par ma mère. Infatigable voyageur sur sa mobylette qu’il bricolait dans la cour de derrière, car il n’avait pas de voiture mon père. A quoi bon quand on a passé toute sa vie avec la mer.
(Photo : Mon père en 1979)

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]



<< Accueil